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La maison du DJ Diplo dans la jungle jamaïcaine — « C’était de la folie de construire ici »

Dans la jungle jamaïcaine, le DJ star Diplo a réuni une équipe de créatifs visionnaires pour concevoir une retraite onirique aux volumes simples et audacieux, son jardin d’Éden,son « île-refuge ».
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DANS LE SALON du studio d’enregistrement, autour d’une table basse (Objet Vagabond) des chaises (Stahl + Band) et un canapé (Casa Atica). Devant la baie vitrée, une table de ping-pong et une table d’échecs (Rasttro).©Frank Frances Studio

La maison de Diplo en Jamaïque

Goethe décrivait l’architecture comme de la « musique figée », estimant que « l’effet produit par l’architecture se rapproche de l’effet produit par la musique ». Plus de 150 ans plus tard, le moins auguste mais tout aussi visionnaire Frank Zappa reformulait avec ses propres mots la méditation du poète allemand : « La musique en performance est un type de sculpture. L’air de la performance est sculpté dans quelque chose. »

LA LONGUE TABLE de la salle à manger a été fabriquée par Bildad DeLeon (Deleon Wood Works), à partir d’une plaque d’angelim pedra brésilien.

©Frank Frances Studio

On se demande quelle mélodie est figée dans les volumes audacieux imaginés par Thomas Wesley Pentz, mieux connu sous son nom de scène, Diplo. Compte tenu du penchant du célèbre DJ pour le mélange des genres, les mix et les remix, la propriété ne reflète pas tant un type de musique spécifique que son approche à l’égard de la créativité en général. Avec ses notes dominantes de béton, de bois et de végétation, la maison prend des allures de mash-up tropical, la terre étant reconfigurée et raffinée d’une manière qui s’apparente au sampling qui caractérise la pratique du musicien. L’interaction rythmique entre l’artificiel et le naturel, les jeux de textures et de hauteurs offrent un aperçu de la dextérité et de la compréhension intuitive de Diplo.

LA PISCINE, le salon et la chambre principale sont exposés au nord, avec son ombre rafraîchissante.

©Frank Frances Studio

La Jamaïque a toujours été pour lui une source d’inspiration et une référence artistique : « Ce pays a eu un impact culturel tellement puissant dans le monde. C’est vraiment un endroit magique. » Il y a une dizaine d’années, le musicien a acheté vingt hectares de terrain au nord-est de l’île afin d’y créer une retraite coupée du monde. Il a depuis acquis une parcelle voisine de cinq hectares. « C’était de la folie de construire ici », admet-il, citant la myriade de défis liés à la création de son jardin d’Éden. « Ce projet a été une affaire de patience. Le risque d’échec était élevé, mais nous avons toujours trouvé des solutions. »

L’ARCHITECTURE EN BÉTON, largement ouverte sur la jungle, domine le paysage alentour.

©Frank Frances Studio

Pour mener à bien ce programme herculéen, Diplo a fait ce qu’il sait faire de mieux : il a rassemblé une équipe de talents et les a mis au défi de dompter la jungle. Parmi eux, l’architecte Lauren Crahan, dont l’agence Freecell Architecture est connue pour ses recherches expérimentales sur les relations volumétriques et la tectonique des matériaux. L’équipe comprenait également Gia Wolff, qui se concentre sur les aspects performatifs de l’architecture et sur la relation réciproque entre l’utilisateur et son environnement.

LE PALIER menant à la chambre principale est recouvert d’une simple chape de béton. Porte en bois massif de bangkirai et amphores (Olive Ateliers).

©Frank Frances Studio

Pour l’aménagement intérieur, le producteur a fait appel à Sara Nataf, sa directrice artistique de longue date, et à Katelyn Hinden, son indéfectible assistante. « Ces quatre femmes géniales ont pris le contrôle de ma vie, et je n’aurais pas pu rêver mieux. Elles sont redoutablement efficaces. » Lauren Crahan lui retourne le compliment. « Wes », comme elle l’appelle, « était incroyablement ouvert à nos idées. » Une structure en dialogue constant avec la jungle La première étape a été d’arpenter le terrain avec des bushmen munis de machettes pour dégager les chemins. « La forêt était un véritable coffre aux trésors, avec une grande variété de microclimats. Le plus important a été de la décortiquer et de trouver le moyen d’établir des liens entre les éléments du paysage. »

LA BIBLIOTHÈQUE est l’une des rares pièces fermées de la maison. Autour d’une table basse de Roger Capron, un canapé (Mitchell Gold + Bob Williams) en tissu (Nobilis). Derrière, le bar et les étagères en bois de guango jamaïcain ont été conçus par Freecell et Gia Wolff.

©Frank Frances Studio

Après avoir déterminé l’emplacement précis de la structure principale et des annexes – comme le pavillon indépendant, qui abrite un studio d’enregistrement –, l’équipe s’est attachée à délimiter précisément les espaces. « Wes a voyagé dans le monde entier et a passé beaucoup de temps dans des pays tropicaux comme l’Inde et le Brésil, explique l’architecte. Nous avons trouvé une belle intersection d’intérêts dans le travail du Sri Lankais Geoffrey Bawa (voir notre portfolio p. 60) et des Brésiliens Oscar Niemeyer, Paulo Mendes da Rocha ou Roberto Burle Marx. Finalement, le choix du matériau pour penser ce bâtiment s’est imposé naturellement. Le béton moulé nous a permis de créer des volumes simples et audacieux qui peuvent dialoguer avec la jungle. »

L’ESCALIER voit son béton réchauffé par des persiennes à ouverture fixe en bois de bangkirai qui filtrent la lumière et créent des jeux d’ombre graphiques. Sur le palier, un pot en terre (Knibb Imports).

©Frank Frances Studio

Librement divisée en une aile privée pour l’usage de Diplo et une autre pour les invités, la maison est centrée autour de la piscine et de la salle à manger. Des ponts, des treillis et des brise-vent tissent la structure en un seul organisme, vivant au rythme et à l’humeur changeants de la nature. La maison, conçue pour célébrer les rituels du quotidien, ouvre entièrement sur la jungle. « Lauren et Gia étaient obsédées par les ombres et les lumières. Elles ont pris en compte tous les moments de la journée, de sorte que les nuages, la pluie et le soleil deviennent des éléments du design », explique le DJ. Sara Nataf décrit la maison comme un « paradis où chaque recoin est conçu pour s’inspirer, créer, ou simplement se détendre et contempler ».

DANS LE SALON du studio d’enregistrement, autour d’une table basse (Objet Vagabond) des chaises (Stahl + Band) et un canapé (Casa Atica). Devant la baie vitrée, une table de ping-pong et une table d’échecs (Rasttro).

©Frank Frances Studio

Le décor a été conçu avec des éléments qui font référence aux nombreux voyages et centres d’intérêt de Diplo. « Tout a un sens, tout a une histoire liée à la vie de Wes », renchérit Katelyn Hinden. Trouver des textiles et des meubles résistants à la chaleur n’a pas été une mince affaire. « Le soleil n’est pas tendre avec les tissus, mais ça ne me dérange pas, ça fait partie de l’aspect brut de l’endroit, relativise Diplo. Ici, chaque arbre a une personnalité, une âme, et c’est ce que l’on veut embrasser. » La prééminence de l’environnement est soulignée par une fresque de la Colombienne Sofía Londoño qui orne un côté de la piscine. Hommage à la structure cellulaire de la vie végétale, l’œuvre jette un pont entre la jungle verdoyante et le béton monochrome. C’est le mari de l’artiste, Carlos Morera, qui a supervisé l’aménagement paysager avec son équipe de Geoponika. « Il y a des endroits où l’on ne peut pas imposer un paysage, explique-t-il.

LA SALLE DE BAINS de cette suite d’invités est équipée d’un lavabo en béton, d’un miroir (Waterworks) et d’appliques (Allied Maker).

©Frank Frances Studio

Ici, la jungle possède un caractère tellement affirmé que le mieux que l’on puisse faire est de l’intégrer à la vie de la maison, de faire en sorte qu’elle devienne une partie naturelle et inextricable de l’architecture. L’objectif était que rien ne paraisse forcé ou étranger au site. » Diplo est convaincu que les années passées à cultiver son île-refuge valaient bien tous les efforts déployés. « Il y a des merveilles partout, pas seulement dans la maison. Au milieu de la nuit, on est bercé par la bande sonore de l’île : des cigales, des oiseaux, des grillons, et toujours les rythmes de dancehall qui nous parviennent de plusieurs kilomètres à la ronde. C’est ce que j’aime en Jamaïque : le bruit de l’eau, des animaux et du chaos... Nous sommes perchés si haut que nous ne les entendons que comme une sorte d’ambiance apaisante. C’est un peu mon milieu. »

DANS LA CHAMBRE PRINCIPALE, le lit a été réalisé sur mesure (DeLeon Wood Works). Devant, une table basse chinée en ardoise (Obsolete).

©Frank Frances Studio