À Monaco, une villa moderne face à la mer
C’est dans la célèbre station balnéaire de Cap-d’Ail, sur la Côte d’Azur, que Vanessa Margowski, cofondatrice de Joya, a réalisé avec son mari le rêve d’une vie : transformer un joyau d’architecture du début du XXe siècle en un écrin raffiné pour leur éclectique collection d’art. En franchissant le palier de cet imposant appartement, on se sent immédiatement plongé dans le passé lointain que célèbre son architecture, celui de la Méditerranée et de ses mythes, dont les récits semblent se réfléchir dans les flots bleus scintillant par-delà la fenêtre.
Réalisées, comme le Parthénon d’Athènes, dans du marbre gris de l’Attique, les puissantes colonnes doriques du vestibule nous invitent à nous imprégner de la légende de la Mare Nostrum. Cet édifice Art nouveau a été construit entre 1911 et 1914 par l’architecte Arthur Demerlé (1868-1953) à la demande du publiciste Alphonse Lenoir (1852-1915). C’est le décorateur Jules Wielhorski (1875-1961), renommé pour ses fresques de la Villa Kérylos, située non loin à Beaulieu-sur-Mer, qui se charge de compléter la vision de son commanditaire. Suivant le précepte d’art total de ce mouvement, les scènes mythologiques peintes par Wielhorski reprennent l’iconographie de la culture antique édictée par Giorgio Vasari à la Renaissance. Frises en marbre, fresques, mosaïques, ses créations convoquent les divinités Athéna et Dionysos et font revivre les scènes de l’Iliade et l’Odyssée.
Comment faire dialoguer un décor si homogène avec une collection au goût des plus éclectiques ? « La première fois que nous avons vu cet appartement, raconte la propriétaire, nous sommes restés bouche bée. Nous avons tout de suite su que ce lieu allait devenir un projet de vie, un défi aussi, car il n’est pas facile de se réapproprier un lieu à l’histoire si riche, très marqué par les décorations existantes. L’appartement est devenu pour nous un exercice de style et nous a permis de porter un regard nouveau sur le design, non plus en tant que collection d’objets singuliers mais de pièces qui, tout en se pliant à nos exigences, permettent d’ouvrir vers une nouvelle histoire. »
Les propriétaires composent donc dans leur appartement un savant cabinet de curiosités pour proposer des rapprochements inédits, dictés par le goût et le sens de la scénographie. Ainsi libérés des contraintes d’une lecture trop fidèle imposée par les lieux, les meubles s’offrent comme autant d’éléments de rupture, mais aussi de dialogue. Une conversation qui s’engage sur le plan de la géométrie : méandres des fresques, mosaïques au sol, silhouette fluide de meubles postmodernes ou de la Sécession viennoise se juxtaposent aux lignes plus sévères de l’école rationaliste.
Le passage d’une pièce à l’autre produit de nouveaux panoramas, dans une diffraction d’atmosphères rendue possible par les grandes portes laissées toujours ouvertes. Ces scénographies domestiques, véritables symphonies pour l’œil, ne laissent rien au hasard, tel un kaléidoscope de formes et de périodes variées composant un nouveau récit dans l’espace. Par leur contiguïté avec du mobilier japonais ou africain, les pièces des designers Carlo Scarpa, Luigi Caccia Dominioni, Josef Hoffmann, Philippe Starck, Kazuhide Takahama et Ettore Sottsass électrisent l’intérieur. Étagères, tables et tables basses, manteaux de cheminée, tout ici devient support d’exposition, décor d’exquises scénographies où se rencontrent des sculptures en bronze, des objets de verre, des cendriers, des vases ou des boîtes en malachite.
Partout, les livres très nombreux, posés ci et là, s’invitent sur les meubles, offrant aux propriétaires des heures de lecture bercées par le chant des hirondelles. Les œuvres d’art participent également de l’ivresse de beauté qui nous prend : Andrea Branzi, Luigi Ghirri, Mark Handforth, Sam Falls... Dans ce lieu unique, l’art, le design et l’histoire se fondent. Suspendue au-dessus des flots, cette fantaisie du début de siècle est devenue un havre de culture contemporaine.