Architecture

Dans la Villa Ottolenghi, la dernière maison signée Carlo Scarpa

Sur les hauteurs du lac de Garde, la Villa Ottolenghi est la dernière maison signée par Carlo Scarpa, synthèse parfaite de son sens du génie, capable d’apporter des solutions harmonieuses à toutes les contraintes.
Un bassin cre un jeu de reflets avec les colonnes de bton et de pierres diffrentes  Prun et Trani pour lessentiel.
Un bassin crée un jeu de reflets avec les colonnes de béton et de pierres différentes – Prun et Trani pour l’essentiel.© Giulio Ghirardi / Réalisation : Sarah de Beaumont

« Tu ne dois pas penser à la maison. Imagine que c’est une tente dont celles-ci sont les piliers. C’est une tente chaleureuse qui va te protéger, toi et ta famille » : c’est la jolie formule trouvée par Giuseppe Mazzariol pour rassurer Marie-Thérèse Cartigny Ottolenghi, un peu inquiète face aux colonnes épaisses qui trônent au milieu du chantier de sa future maison.

1974, nous sommes sur les rives du lac de Garde, à Bardolino, où les Ottolenghi ont choisi de faire construire une villa par Carlo Scarpa sur les conseils de Mazzariol, éminence culturelle vénitienne qui a joué les intermédiaires entre l’architecte et le beau-père de la propriétaire, Carlo Ottolenghi, commanditaire des travaux. Stimulé par le plan en cylindres de la Jesper House de Frank Lloyd Wright à Palos Verdes, en Californie, Scarpa commence par implanter neuf colonnes stratifiées de béton et de pierres différentes – essentiellement de Prun et de Trani –, de quoi créer une belle scène pour imaginer de petits spectacles dans le jardin, dit-il. Mais les propriétaires veulent une maison et non pas un théâtre.

DANS LA PETITE SALLE À MANGER, la table et les chaises sontsignées Alvar Aalto,la suspension au-dessus de la table est de l’architecte Andrea Gazzola.

©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

Où sont les murs ? « Pas besoin de murs, car en général les gens finissent par y accrocher leurs tableaux et ils sont souvent vilains », rétorque l’architecte, jamais avare de boutades. Au bout d’un chantier de cinq ans et demi, les murs et le plafond finiront bien par arriver, sans que Scarpa ne puisse les voir terminés puisqu’il disparaît en 1978, laissant néanmoins derrière lui une multitude de dessins et d’indications qui guideront Giuseppe Tommasi et Guido Pietropoli, ses collaborateurs, pour les touches finales.

DANS LA SALLE À MANGER principale, spectaculaire en tout point, autour
d’une table Sarpi de Carlo Scarpa, des chaises signées Kazuhide Takahama.


©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

La maison mesure finalement 240 mètres carrés et le résultat va ravir tout le monde. Il faut avouer que la prouesse était de taille, vu les contraintes imposées par le plan d’urbanisme de la commune : pas plus d’un étage et surtout pas plus de 445 mètres cubes, bien que la parcelle de vignobles s’étende sur 7 600 mètres carrés.

C’est ainsi que Carlo Scarpa a décidé d’enterrer une partie de la maison dans la colline, en faisant du toit une sorte de prolongement. Cité par Tommasi dans AMC n°50 en décembre 1979, l’architecte décrit son projet : « L’édifice a été conçu comme une forme insolite par laquelle, grâce aux déformations de la maçonnerie, le volume construit échappe de loin à la vue : les parois extérieures auront l’air de diaphragmes recouverts de végétation (lierre, ampélopsis, ficus repens)... Le toit a été spécialement étudié pour qu’il devienne un petit coin de terrain accidenté, terrain sur lequel il sera aussi possible de marcher. »

EN HAUT DES MARCHES menant à la salle à manger, une chaise S-Chair de Tom Dixon se détache sur le mur bleu ciel.

©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

Les volumes dialoguent avec le jaune, le bleu et le rouge des murs, surplombés par un plafond noir– alternative à l’abricot initialement prévu.

À moins de s’aventurer dans la « calle », le sillon creusé entre l’arrière de la maison et la colline afin de garantir une aération aux chambres des enfants et leur donner un air de Venise. Et Marie-Thérèse Cartigny Ottolenghi de confirmer : « L’idée était de recréer une petite Venise à Bardolino, pour les enfants, d’où la présence de l’eau partout... Ça a l’air très simple, mais c’est en réalité un système de raccordements extrêmement sophistiqué. »

DÉTAIL DU PLAFOND, ouvert en partie pour laisser passer la
lumière. La double porte est courbe pour épouser la forme du mur.


©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

Côté jardin, un bassin vient faire écho à la vue sur le lac que l’on aperçoit au loin depuis le toit tout en créant un jeu de reflets qui se réverbèrent à travers les grandes vitres de la façade et baignent de lumière les pièces à vivre, trait d’union entre les deux pôles opposés de la maison – les parents et les enfants. Ce sont de facto trois demi-niveaux très ouverts où tout est aérien ; dans chaque coin de la maison un point de fuite ou une perspective se dégage comme par magie, ingénieusement calculé par Scarpa pour que l’œil puisse traverser l’espace et croiser sur sa trajectoire tous les éléments qui le façonnent.

LA SALLE DE BAINS, son marbre et ses portes vernies qui épousent, là aussi, le mur courbé.

©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

Les colonnes bien sûr, mais aussi les autres volumes qui s’encastrent çà et là, dialoguent avec le jaune, le bleu et le rouge des murs, surplombés par un plafond noir – alternative à la couleur abricot initialement prévue, mais impossible à reproduire. Scarpa l’avait dit, la Villa Ottolenghi devait être une « arlequinade » chromatique et c’est précisément une œuvre d’art qu’il a su créer ici de fond en comble, qu’il s’agisse des arrondis en terrazzo dessinés à la craie à même le sol ou du calepinage des briques sur le toit, clin d’œil aux compositions de Paul Klee. C’est vrai, à quoi bon ajouter des tableaux ?

DANS LA CHAMBRE, une chaise d’Alvar Aalto et un lampadaire Papillona d’Afra et Tobia Scarpa pour Flos, en 1970.

©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

UN FAUTEUIL Simon, édité par Gavina, est placé contre le dos arrondi de la salle de bains.

©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

L’œil traverse l’espace et croise sur sa trajectoire tous les éléments qui le façonnent. Les colonnes,
bien sûr, mais aussi les autres volumes.

UN ESCALIER longe la maison de l’extérieur depuis le toit végétalisé sur lequel
on peut marcher.


©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont

LA NATURE pénètre dans la maison jusque dans le vestibule de la chambre.

©Giulio Ghirardi /Réalisation : Sarah de Beaumont